Mikhail Pogarsky
Douze degrés de nuit
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Ãóìàíèòàðíûé ïîðòàë ''Àðòáóðã''



 

Mikhail Pogarski

 russe

                                          Douze degrés de nuit

                                              (12° dans un verre)

 

       Il a tout jeté au sol à partir de zéro

       Cette nuit-là Celsius a perdu l’esprit.

                                (Boris Pasternak)

              

                 plein verre

 

Temps et espace se contractent

La nuit entame un jeu archaïque :

Mots en liberté, dans le zéro, dans l’inconstance

De la conscience et de la neige sous le vent…

 

Frontières et lois violées.

Fondements et mondes écroulés…

Dans le maelström des pensées et la plainte des cloches

Le vers vient au monde, il lance le jeu pointu.

 

Sans dessein, sans cause visibles,

Sans but lointain, sans sens et sans idées…

Il ne dort pas le poète. Il est ivre à moitié

Et il les aime tous, hommes et monstres …

 

Ainsi que tous les chiens, tous les chats noirs.

 

 

                      1°.

 

Temps et espace se contractent.

Dans la danse démente du feu archaïque

Sur un rythme de tango, sans résidu, se consument

Les derniers traits du jour enfoui sous la neige

 

Les peintres ont repoussé leurs chevalets

Les verres tintent, et on va boire,

Á la frontière de la naissance et de la mort

La nuit entame un jeu archaïque :

 

Parmi les hommes, les chiens et les chats noirs

 

                      2°.

 

La nuit entame un jeu archaïque :

Changeant les temps et les terminaisons,

Passant le fil des mots dans l’aiguille du vers

Qui transperce l’essence de l’univers.

 

Là où mille routes se croisent

Parmi les quêtes, les errances sans fin

Des portes grand ouvertes jaillissent

Mots en liberté, dans le zéro, dans l’inconstance

 

Dans le pays des chiens, des hommes et des chats noirs

 

                   3°.

 

Mots en liberté, dans le zéro, dans l’inconstance

Dans les contrées inexplorées des rêveries,

Dans la mélodie du péché et de la décadence,

Dans l’abîme irrésistible de la beauté…

 

Dans les caves profondes des étranges pensées

Où, tel un kangourou devenu fou,

Le poète se balance sur la palanche

De la conscience et de la neige en plein vent…

 

En compagnie des chiens et des chats noirs.

 

                              4°.

De la conscience et de la neige en plein vent…

Les petits vers en mille morceaux…

Soumis au poète et à la plume

Maintenant sont à l’ultime bout du rouleau.

 

Dans un silence cristallin, les vers ont traversé

Tabous, interdits et barrières,

Et, dans ce tohu-bohu étincelant,

Se retrouvent violées lois aussi bien que frontières.

 

Des chiens, des hommes et même des chats noirs.

 

                         

 

                               5°.

 

Violées lois aussi bien que frontières.

Ouverts tous les canaux, toutes les routes.

La vodka coule à flot, les nouilles refroidissent.

Le poète est pensif… prendre la mer, prendre la route ?

Quelle mer ? L’eau, ma foi, est bien trouble.

Impossible d’y lâcher ni rimes ni caviar,

Quelle mer prendre en un pays où règne le désordre.

Où fondements et mondes sont écroulés…

 

Pour tous les chiens, les hommes et même les chats noirs.

 

                           6°.

 

Fondements et mondes sont écroulés…

Le soleil s’en va plonger à l’orient

Et sur un fragment de sens et d’écorce

Le poète trace un brouillon de haïku

 

Qui plane dans les nuages,

Dans les pattes des sapins et le faîte des pins,

Dans les pensées des chiens épouvantés,

Dans le maelström des pensées et la plainte des cloches.

 

Et dans les pensées des chats noirs si noirs.

 

                       

 

                            7°.

 

Dans le maelström des pensées et la plainte des cloches.

Comme Bouddha, à contretemps et  à côté,

Comme le Christ dans les icônes de la Nativité,

Portant la lumière claire et inextinguible…

 

Comme Mahomet sur le rasoir de l’océan

Comme le Satan sur la pointe d’une aiguille

Comme un djinn ivre au fond d’un verre

Le vers vient au monde, il lance le jeu pointu.

 

Des hommes, des chiens et des chats très noirs.

 

                           8°.

 

Le vers vient au monde, il lance le jeu pointu.

Mers et fleuves débordent de leurs rives.

Des avalanches de neige tombent des sommets

Et le Vii de Gogol entrouvre ses paupières.

 

Le vers vient au monde dans les mélodies de l’hiver

Dans les nuances d’un tableau inachevé

Le vers vient, comme à la nuit les rêves

Sans objectif et sans raison visibles.

 

Comme sans raison les chats errent la nuit.

 

                       9°.

 

Sans objectif et sans raison visibles

De centaines, de dizaines de milliers de vers

Les poètes en tirent un soudain

Et le couchent en tremblant sur la feuille.

 

Sans longues et inutiles explications

Spontanément comme les petits enfants

Sans raisonnements à la sagesse alambiquée,

Sans but lointain, sans sens et sans idées…

 

Vers pour les chiens, et aussi pour les chats noirs.

 

                      10°.

 

Sans but lointain, sans sens et sans idées…

Par une nuit rongée par l’anxiété

Dans sa chambre, le poète poursuit les diables

Á coups de vers inégaux…

 

Il étanche sa soif au cognac,

Vers après vers volent dans sa corbeille,

L’espace est enroulé sans dessus dessous

Le poète ne dort pas. Il est saoul à moitié.

 

Il donne du lait et aux chiens et aux chats…

 

                  

 

                    11°.

 

Le poète ne dort pas. Il est saoul à moitié

De poésie, d’amour, d’un songe étrange …

Saoul d’une tendresse de feu pour son fils devenant homme…

Saoul d’une tempête du cœur, d’un alcool onéreux…

 

Sur l’étiquette de la bouteille, il écrit

Sans équivoques et fantaisies superflues…

Les vers tremblent comme moineaux sur la branche…

Il les aime tous, hommes et monstres …

 

Ainsi que tous les chiens, tous les chats noirs.

 

                    12°.

 

Il les aime tous, hommes et monstres

Il hait la mesquinerie et la vulgarité.

Il part dans la nuit sans refermer les portes,

Il a rayé la surface polie des règles usuelles.

 

Tout l’ennui du monde, il l’a jeté à la casse

Et il détruit la stupidité et la trivialité.

Sous sa plume si bien aiguisée

Temps et espace se contractent.

 

Chez tous -  chiens, hommes, monstres et chats.

 

Traduit du russe par Yvan Mignot

 



   
 
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